Mais la substitution polyalphabétique évolua encore sous
l'impulsion de Giovanni Batista Belaso, homme si ordinaire que l'on ne sait
presque rien de lui. Il inventa la notion de clé littérale qu'il appela "mot de
passe".
Clé littérale : BEL ASOBELA SOB ELASOB
Texte clair
: LES ITALIENS ONT TROUVE
Si la clé est "belaso", le cryptogramme est crée par
l'association entre B et L pour cet exemple. Il suffit de regarder dans un
tableau comme ci-dessus pour mettre un caractère crypté et ainsi de suite pour
les autres lettres. Cependant l'invention revînt à un jeune prodige, futur
fondateur de la première société scientifique, Giovanni Batista Porta, qui
utilisait cette notion de clé littérale avec la première substitution
bigammatique de l'histoire de la cryptologie.

Il écrit en 1563 un livre "De Furtivis Literarum Notis"
résumant les éléments existants en cryptologie. Il y parle d'un objet du même
type que celui qu'avait conçu Alberti, de la facilité de changement de clé
littérale du système Belaso et du chiffrement lettre à lettre de Trithème.
Il y aura encore des améliorations de la substitution
polyalphabétique au 16ème siècle par l'utilisation d'un procédé
"autoclave" (le message lui-même est la clé). C'est Cardan, médecin et
mathématicien milanais qui invente ce procédé. Malgré sa brillante idée,
l'application qu'il en faisait était défectueuse.
L'inventeur du second procédé "autoclave", valable celui
là, est un français du nom de Blaise de Vigenère. C'est à Rome qu'il a eut son
premier contact avec la cryptologie. Il y fera d'autres séjours pour renouer
avec les experts cryptologues. Parmi les nombreux systèmes exposés par Vigenère,
comme la façon de dissimuler un message dans l'image d'un champ d'étoiles,
figure la substitution polyalphabétique. Il utilise un tableau du type Trithème
: c'est le "carré de Vigenère" :

Jusqu'en 1917 ce procédé semblait indécryptable, notamment par
des revues scientifiques américaines.
Cependant les gens utiliseront plus les répertoires par rapport
à la substitution polyalphabétique qui nécessite plus de précision. En dépit du
mythe de son inviolabilité, elle fut parfois décryptée. Mais il s'agissait de
cas isolés, très espacés dans le temps, si peu fréquents que les ouvrages
classiques de cryptologie ne les mentionnent même pas. Du fait de sa faible
utilisation, les méthodes de décryptement étaient inexistantes.
Très vite les cryptologues insistent sur l'importance de la
cryptanalyse dans la politique. Un homme, Antoine Rossignol intervient pour la
royauté contre les huguenots assiégeant la ville de Réalmont en 1628. Il
décrypte un message destiné aux huguenots en une heure annonçant la fin de
munitions très proche des huguenots. Surprise l'armée royale fit capituler la
ville malgré les remparts imposant. Avec ce haut fait, commença la carrière de
celui qui allait devenir le premier cryptologue professionnel de France. Il se
fit très vite une place de choix auprès du Roi. En 1630, ses décryptements l'ont
rendu suffisamment riche pour construire un château à Juvisy. Le travail de
Rossignol lui donnait accès à certains des plus importants secrets de l'Etat et,
de ce fait, faisait de lui un homme brillant et respecté de la cour de Louis
XIV. En 1682 il décède et son fils qu'il avait formé prit sa succession.
Bonaventure hérita de 12000 livres et passa en 1688 de conseiller du parlement à
président aux requêtes du palais. Une des plus grandes contributions des
Rossignols fut de démontrer de façon éclatante à ceux qui gouvernaient la France
l'importance du décryptement dans la détermination de leur politique.
Cela aboutit à la création d'un bureau spécialisé au 18ème, le
Cabinet Noir. D'autres s'édifièrent dans toute l'Europe. Celui de Vienne en
Autriche passait pour être le meilleur d'Europe. Les cryptanalystes utilisaient
la sténographie pour plus de rapidité, ils connaissaient toutes les langues
européennes. Si une était inconnue alors un fonctionnaire l'apprenait. Dix
personnes travaillaient et déchiffraient 80 à 100 courriers par jour. Ils
commirent que peu d'erreurs. En effet pour plus d'efficacité, une personne
travaillait une semaine sur deux. L'Autriche possédait alors une très bonne
politique extérieure du fait de leur puissance dans le domaine de la
cryptologie.
L'Angleterre possédait aussi son Cabinet Noir. C'est sous
l'impulsion de Wallis, passionné par la science des écritures secrètes, que de
nombreux décryptements sur répertoire et substitution mono-alphabétique furent
possible, notamment des cryptogrammes américains à destination de l'Europe.
C'est le père de la cryptologie anglaise comme Rossignol l'était en France.
Sans aucun doute les succès des cryptanalystes étaient dus,
dans une large mesure, à leur habileté. Cependant, selon François de Callière :
"Les déchiffreurs célèbres ne doivent leur considération qu'à la négligence de
ceux qui donnent de méchants chiffres, et à celle des négociateurs et de leurs
secrétaires qui s'en servent mal.". Sa remarque est juste dans le sens où il y
avait une mauvaise utilisation du chiffre facilitant ainsi la tâche du
cryptanalyste. Les tourments politiques de 1840 renversèrent la plus grande
partie de ce qui restait en Europe d'absolutisme. Le renouveau de la liberté ne
tolérait plus l'ouverture des lettres par les gouvernements. En Angleterre, une
formidable clameur publique et parlementaire contre l'ouverture clandestine du
courrier obligea à interrompre leur Cabinet Noir. En France, il n'a cessé de
dépérir depuis la révolution pour totalement disparaître. Mais simultanément
allait naître une invention qui révolutionnera la cryptographie : le
télégraphe.
Cette nouvelle innovation dans les flux d'information suscita
de nouvelles vocations à la cryptologie. Les hommes d'affaires utilisaient des
codes commerciaux pour leurs transactions. Ils remplaçaient des mots ou des
phrases par de simples groupes codiques qui offraient une sécurité suffisante.
Mais les commerçants et courtiers réalisèrent que le principal avantage de ces
codes était quand même l'économie financière qu'ils procuraient.
Dans le domaine militaire, le télégraphe allait offrir aux
généraux et autres officiers l'occasion d'exercer un contrôle continu et
instantané des forces armées. Le chef militaire, installé dans un poste de
commandement loin à l'arrière et informé par le télégraphe, suivait sur des
cartes l'évolution de la bataille, mieux qu'il n'aurait pu le faire sur le
terrain. Le temps des généraux à cheval, surveillant la bataille du sommet d'une
colline comme Napoléon, était révolu.
Une situation nouvelle demandait de nouvelles théories, une
nouvelle approche. C'est alors qu'un ouvrage fondamental ouvrit la cryptologie
aux influences extérieures : "la cryptographie militaire" d'Auguste Kerckhoffs
von Nieuvenhof. Il naquît en Hollande mais fit ses études à Aix-la-Chapelle. Il
s'inscrivit à l'université de Liège où il obtint un diplôme de lettres es
sciences. Kerckhoffs mettait en relief le changement apporté aux communications
militaires par le télégraphe. Les chefs des armées désiraient que le chiffrement
militaire possède les qualités suivantes : sécurité, rapidité et donc
simplicité. Kerckhoffs avait reçu ce nouvel ordre de chose et souligna
l'importance de la cryptanalyse mettant à l'épreuve les procédés de chiffrement.
De ces principes de sélection d'un système de chiffrement opérationnel, il
déduisit six conditions fondamentales :
- le système doit être matériellement, sinon mathématiquement, indécryptable
- il faut qu'il n'exige pas le secret et qu'il puisse sans inconvénient
tomber entre les mains de l'ennemi
- la clé doit pouvoir en être communiquée et retenue sans le secours de
notes écrites, et être changée et modifiée au gré des correspondants
- il faut qu'il soit applicable à la correspondance télégraphique
- il faut qu'il soit portatif, et que son maniement ou son fonctionnement
n'exige pas le concours de plusieurs personnes
- le système doit être d'un usage facile ne demandant ni tension d'esprit,
ni la connaissance d'une longue série de règles à observer
Par sa clarté, la qualité de ses sources, la valeur inestimable
des nouvelles techniques qui y sont exposées, mais avant tout par la maturité,
la sagacité et l'acuité des vues de son auteur, "la cryptographie militaire" se
place au premier rang parmi les ouvrages fondamentaux de la cryptologie.
Pendant quand France Kerckhoffs dégageait, avec une
extraordinaire lucidité, les principes fondamentaux qui, encore de nos jours,
guident les travaux des cryptologues, un illustre savant anglais, Wheastone,
sans doute plus pragmatique, enrichissait la cryptographie d'un nouveau procédé.
Il s'agissait d'un cryptographe de type Alberti mais avec deux aiguilles
semblables à celles d'une montre.

Le fonctionnement était pratiquement identique sauf qu'il y
avait le caractère spécial "+" permettant la séparation des mots. Ainsi en
gardant le même angle entre les deux aiguilles, le cryptogramme apparaissait de
façon continue, sans espace.
A l'aube du 20ème siècle, le savoir en cryptographie et
cryptanalyse est important. C'est dans le domaine militaire que l'on verra le
plus cette science des écritures secrètes. Beaucoup de cryptologues ont
découvert des procédés très complexes cependant l'utilisation par les militaires
sera simplifiée car des erreurs ont été faites dans le passé pour le cryptage ou
le décryptage. La France, meilleure nation cryptologique, aborde le premier
conflit mondial avec de l'avance sur l'Allemagne qui pense toujours être la
nation suprême par excellence et qui reste sur ses acquis. En effet, ils ne se
sont pas rendu compte de l'importance de la cryptanalyse mettant à l'épreuve la
cryptographie. Des hauts faits historiques ont été imprégnés par la cryptologie
comme la résolution de l'affaire Dreyfus mais elle allait être décisive pour le
destin du monde en raison de l'utilisation qu'elle a connue pendant les deux
guerres mondiales.