La première Guerre Mondiale fut une suite de véritables
batailles sur le plan technique. Dans les deux camps, négligences et
atermoiements caractérisèrent la période du début. Bientôt cependant, une
activité fébrile marque l'intérêt des belligérants pour la cryptographie. Cette
période est féconde et d'une influence décisive. Elle est à l'origine de la
création, dans tous les pays, de services organisés de chiffre et de
décryptement.
En août 1914, nul ne pouvait prévoir l'ampleur que devait
prendre le chiffre dans une campagne que chacun, pour des raisons différentes,
présumait courte. Sauf pour les Anglais, les précautions prises, dans les armées
belligérantes, pour assurer le secret des correspondances furent insuffisantes.
En France le commandant CARTIER avait réuni un certain nombre d'officiers qui
avaient pour rôle d'assurer la confidentialité des correspondances et d'attaquer
celles de l'ennemi. Les Allemands prirent conscience des dangers de
l'interception de leurs messages et perfectionnèrent leur méthode, ce qui ne fut
pas un obstacle pour les cryptologues.
La radio fut l'un des moyens le plus utilisé pour faire passer
des messages. Les généraux s'en emparèrent rapidement comme instrument de guerre
car elle multipliait l'avantage essentiel de la télégraphie militaire et
accélérait la communication entre les quartiers généraux. Mais la probabilité
d'interception était grande et la facilité d'écoute trop importante. (La
cryptanalyse devint un moyen d'action opérationnelle. C'était une source valable
d'informations et donc une véritable arme).
La radio fut utilisée de façon intensive au cours de la
première Guerre Mondiale. C'est elle qui amena la cryptologie à maturité. Les
Français réussirent à décrypter un système utilisé, par les Allemands, appelé
l'ÜBCHI, qui était un système à double transposition.
Les Allemands ne changeaient leurs clés que très rarement, ce
qui permit, entre autre, aux Français de bombarder THIELT (Belgique). Le 18
novembre 1915, les Allemands mirent en service un nouveau système, mais ce
dernier fut rapidement décrypté par le lieutenant A..THEVENIN vers le 10
décembre. Un mois plus tard, on proposa une nouvelle méthode simplifiée pour le
décryptement, appelée l'ABC mais qui fut abandonnée en mai 1915.
Les méthodes de décryptage et les clés étaient le plus
fréquemment fournies par la section de Paris, aux sections du chiffre. Au début
de l'année 1916, on assista à la reprise de l'activité de la radio. Les
Allemands prirent connaissance de la phraséologie et des procédures de
transmission, qui furent d'un grand secours acquis pendant les premiers jours de
la Guerre.
Les Français continuaient leur chasse systématique aux
mots-clés afin de décrypter un maximum de messages. On assista par la suite à
l'apparition de nouveaux systèmes fondés exclusivement sur la substitution. Ils
devinrent de plus en plus compliqués, mais cette évolution étant progressive, à
aucun moment les Français ne se trouvèrent cryptologiquement distancés.
A la fin de 1916, des messages de transposition firent à
nouveau leur apparition dans leur trafic militaire. En janvier 1917, les
cryptanalystes français identifièrent le procédé utilisé à cette période, comme
étant celui des grilles tournantes, dont les seules caractéristiques communes
avec la grille de Cardan était le nom et l'existence de fenêtres dans le cache.
La grille tournante était généralement constituée par un carré de carton divisé
en cases.
Le plus difficile problème auquel furent confrontés les
cryptologues fut le système Für God, ainsi nommé parce que tous les messages
chiffrés par ce moyen portaient cette mention pour indiquer qu'ils étaient
destinés à la station radio dont l'indicatif d'appel était GOD. Ces messages
étaient émis, de façon irrégulière, environ trois fois par semaine, par la
puissante station de Nauen, située près de Berlin et dont l'indicatif était POZ.
Le Für God apparut en 1916 et dura jusqu'à l'automne 1918, ce qui en fait
le système allemand ayant eu la plus grande longévité. C'est un anglais, le
capitaine Brooke-Hunt qui décrypta le Für God au début de 1917.
A l'arrière des lignes, les Français correspondaient au moyen
d'un code surchiffré à quatre chiffres. Entre le 1er août 1914 et le 15 janvier
1915, ils en changèrent trois fois. Sur le front, les Français utilisaient
parfois une substitution polyalphabétique par alphabets désordonnés et clé
périodique. Mais le procédé auquel ils accordèrent leur confiance pendant trois
ans était une transposition simple améliorée qui, paradoxalement, était
théoriquement plus faible que la double transposition allemande. Mais tous leurs
messages n'ont pas été décryptés car durant les deux premières années de la
guerre, l'Allemagne n'avait pas de cryptanalyste sur le front ouest. Elle était
entrée dans la guerre sans aucun service militaire de décryptement. Au fur et à
mesure que la guerre se développait, les Français firent de plus en plus usage
de la radio. En février 1916, le commandant de l'armée de Lorraine, réclama une
sorte de code téléphonique en raison des interceptions qui avaient attiré des
bombardements sévères et nombreux sur ses réserves. La Section de chiffre
réalisa alors un carnet de chiffres. Les mots importants des messages
téléphonés devaient être épelés sous une forme chiffrée où les lettres étaient
remplacées par des bichiffres pris dans le carnet. Ces carnets étaient remplacés
périodiquement.
Chaque édition avait un nom (Olive, Urbain...) et la lettre
initiale de ce nom, répétée trois fois, indiquait le carnet utilisé pour le
chiffrement. Plus tard, un avion d'état-major porta ces résultats au bureau de
décryptement britannique et Berthold les télégraphia aux Français en utilisant
un code spécial, réservé aux cryptanalystes. Ce fut la pierre de Rosette pour le
décryptement du nouveau système, le Schlüsselheft (système américain de
1917).
Le 5 août 1918, une station d'interception capta un message de
456 lettres, adressé au ministère des Affaires étrangères et émanant du Kress
von Kressenstein. Le lieutenant J.Rives Childs, qui était à la tête du petit
groupe qui travaillait sur les systèmes littéraux, fit un relevé des fréquences,
constata avec satisfaction que celle de la lettre b, particulièrement élevée,
signifiait nécessairement qu'elle représentait le e clair dans une substitution
mono-alphabétique et, en une heure, il avait décrypté le message. Mais le
cryptage d'un tel message était jugé médiocre.
Mackensen, autre homme célèbre dans le domaine de la
cryptanalyse, envoya une dépêche chiffrée en ADFGVX, probablement le
chiffre de campagne le plus célèbre. Il était nommé ainsi parce que ces six
lettres seulement apparaissaient dans les cryptogrammes. Toutefois, lorsque le
système fut mis en service le 5 mars 1918, cinq lettres seulement étaient
utilisées : le V n'y figurait pas. A ce moment, la guerre apparaissait comme une
sorte de match nul par épuisement des adversaires.
La première Guerre Mondiale marque l'un des principaux
tournants de l'histoire de la cryptologie. Avant, son importance était
secondaire ; après, elle était primordiale. Avant, c'était une science dans son
enfance ; après, elle avait atteint la maturité. La cause directe de ce
développement était l'accroissement énorme du volume des communications radio.
L'accession de la cryptanalyse au rang de moyen d'information essentiel et
permanent était le signe le plus frappant de la maturité récente de la
cryptologie.